Les investisseurs de l’huile de palme industrielle peinent à s’implanter en Afrique | Land Portal

Date: 23 septembre 2019


Source: Farmlandgrab,  Mongabay


Par: Ashoka Mukpo | Traduit par: Héloïse Marguier


- Ces dix dernières années, vingt-sept concessions agricoles destinées aux plantations de palmiers à huile en Afrique occidentale et centrale ont fait faillite ou ont été abandonnées.

- Sur les 49 plantations restantes, moins de 20 % des terres allouées à la production ont été réellement exploitées.

- Sime Darby, géant malaisien de l’industrie de l’huile de palme, a récemment exprimé son intention de se retirer du Libéria après plusieurs années de conflits avec les communautés locales et les organisations environnementales.


Il s’agissait d’un « nouvel horizon» pour le marché de l’huile de palme. Des « rapports commerciaux mutuellement bénéfiques » desquels sortiraient gagnants d’une part les états africains en difficulté et, d’autre part, les multinationales bientôt à court de terres exploitables en Asie du Sud-est. Plusieurs dirigeants de sociétés productrices d’huile de palme ont déclaré que « le temps était venu pour le continent africain ». D’autres ont mentionné un retour aux origines africaines de ce business lucratif et, pendant un certain temps, tout le monde voulait sa place sur ce nouveau marché.


Mais d’après un nouveau rapport issu du travail collectif d’organisations locales et internationales engagées aux côtés des communautés(1), le retour au pays de l’industrie de l’huile de palme ne s’est pas fait tout en douceur, contrairement aux prévisions des investisseurs. Des années de résistance acharnée de la part des communautés qui habitent sur les territoires destinés aux plantations ont entrainé la faillite ou l’abandon d’au moins 29 nouvelles exploitations. Sur les 49 exploitations restantes en Afrique occidentale et centrale, moins de 20% des 2,74 millions d’hectares de terres destinées à la production se sont vus être réellement exploités.


« La plupart des grands industriels de l’huile de palme n’avaient aucune expérience en Afrique » a déclaré Devlin Kuyek, l’auteur de ce rapport. « C’est un environnement différent de celui auquel ils sont habitués ».


Depuis des décennies, les plantations industrielles de palmiers à huile représentent un moteur important de l’économie – et de la déforestation – malaisiennes et indonésiennes. Mais après des années d’expansion, les producteurs sont bientôt à court de terres exploitables. À la fin des années 2000 et au début des années 2010, plusieurs gouvernements africains se sont empressés de leur proposer leurs régions boisées afin de subvenir aux besoins des industriels. Surnommé « la grande ruée vers l’Afrique », ce phénomène a vu les plus grandes multinationales de l’huile de palme conclure des accords commerciaux aux quatre coins du continent. Nombre de ces accords étaient démesurés : au Libéria par exemple, des contrats de concession, conclus entre deux entreprises uniquement, couvraient presque 600 000 hectares.


Les investisseurs ont promis aux gouvernements africains les rentrées d’argents dont ils ont désespérément besoin, ainsi que de nombreux autres avantages à l’échelle locale tels que des emplois, des services de santé, des logements pour les employés et bien d’autres services. Les opposants à ces exploitations ont dénoncé cette vague d’investissement comme étant une « mainmise sur les terres » et souligné que les plantations de palmiers à huile à grande échelle représentent une menace envers les espèces en voie de disparition de la région, notamment envers les primates.


Dix ans plus tard, le rapport collaboratif révèle que, suite à ces contestations, nombre de ces accords commerciaux se sont effondrés ou n’ont jamais pris forme. Une partie des investisseurs a cédé ses terres à des entreprises dans l’incapacité de développer leurs propres plantations, alors qu’ils auraient espéré vendre leurs concessions à des producteurs plus importants et mieux implantés.


Mais d’après le rapport, le facteur clé de cet échec est l’opposition des communautés locales affectées par les projets de plantations industrielles.


Quelques unes des entreprises productrices souhaitant s’implanter en Afrique disposaient, elles, d’une solution à un problème fondamental, à savoir les dizaines de milliers de personnes qui habitent sur les terres qu’ils ont acquises. Il n’est pas rare que les accords d’exploitation des terres soient négociés dans une confidentialité quasi-totale ; en effet, peu de communautés locales ont été consultées par leur gouvernement avant que leurs terres ne soient proposées aux investisseurs. Puis les bulldozers sont arrivés, et les ennuis ont commencé.


Au Cameroun, les villageois ont organisé des manifestations contre les projets d’expansion de la plantation Herakles, une entreprise cotée à Wall Street, lors desquelles des activistes locaux engagés à leurs côtés se sont vus arrêtés par la police militaire. Suite à ce véritable « nettoyage des terres » organisé par les géants Sime Darby et Golden Veroleum au Libéria, des plaintes ont été déposées par les communautés auprès de la Table Ronde pour l’Huile de Palme durable, un organisme professionnel. En 2015, les personnes habitant sur les terres d’exploitation de Golden Veroleum furent à l’origine d’une émeute lors de laquelle se produisirent des dizaines d’arrestations ainsi que des passages à tabac perpétrés par la police paramilitaire envers les villageois, alors impliqués dans une marche contre une autre plantation des environs.


Bien qu’initialement enjouées à l’idée que les plantations de palmiers à huile soient source de développement et d’emplois, les communautés se tournent maintenant vers des organisations de la société civile pour obtenir de l’aide, à l’heure où se révèlent les réelles conséquences des plantations.


Selon James Otto, chef de projet à l’Institut du Développement durable basé au Libéria, certains investisseurs ont fait de lourdes promesses aux communautés dans le but d’obtenir leurs terres ; celles-ci se sont révélées source de mécontentements lorsqu’elles n’ont pas été respectées. [Note de l’éditeur : l’auteur de cet article a été membre de l’Institut du Développement Durable de 2012 à 2014.]


« Ils ont créé des attentes qu’ils n’ont pas pu satisfaire » explique-t-il, « montrant alors aux communautés que ces exploitations n’étaient pas durables et c’est pour cette raison que les locaux ont décidé d’exiger l’arrêt de l’expansion jusqu’à ce que ces promesses soient tenues. »


Des éléments indiquent que les bénéfices promis ne sont qu’un mirage pour la plupart des personnes affectées par l’expansion des plantations de palmiers à huile. Une évaluation des immenses propriétés de Golden Veroleum dans le sud-est du Libéria a révélé que la plupart des 14 000 personnes qui résident sur le territoire de la concession risquent de se voir interdire l’accès aux terres agricoles et aux forêts qui représentent pour eux une source additionnelle de nourriture, de carburant de matériaux de construction ; et cela en échange d’environ 1 650 emplois destinés aux membres des communautés locales. Tentant de définir la valeur monétaire estimée du profit des industriels, les calculs des consultants démontrent une perte nette de 7,3 millions de dollars par an pour les communautés.


Des études sur les impacts à long terme des plantations en Indonésie confirment ces chiffres. Les chercheurs ont démontré que de nombreuses communautés déjà fortement intégrées aux économies de marchés ont, de manière globale, effectivement tiré avantage de l’expansion des plantations industrielles de palmiers à huile ; toutefois, des communautés dont le mode de vie relève de la subsistance, souffrent d’un déclin en terme de santé, de nutrition et de niveau de vie.


Après un début difficile au Libéria, Sime Darby se retire


Confronté à une résistance sur le terrain, les producteurs d’huile de palme découvrent une autre facette de l’Afrique occidentale et centrale, qu’ils voyaient avant comme leur terre promise.


Sime Darby fut l’un des premiers grands investisseurs à miser sur le continent africain. Cette multinationale malaisienne, dotée d’une capitalisation boursière de presque 5 milliards de dollars, a signé en 2009 un contrat d’exploitation d’une durée de 63 ans pour le développement d’une plantation de 220 000 ha au Libéria occidental. Presque immédiatement, la concession a rencontré des problèmes. Des activistes locaux ont accusé l’entreprise de ne pas avoir obtenu en amont l’accord des membres des communautés, de les sous-indemniser au vu de la destruction de leurs cultures, et d’avoir rasé des zones destinées aux rituels religieux. Les groupes environnementaux ont souligné le fait que les projets d’expansion de l’entreprise vers des territoires forestiers à « haute valeur de conservation » auront des effets dévastateurs sur la biodiversité.


En réponse à ces accusations, Sime Darby a accepté de retravailler ses procédures d’acquisition et de développement des terres. En 2014, inquiet des dommages que son image internationale pourrait subir, le groupe a accepté de se plier aux standards stricts de « non déforestation ». Mais les dirigeants ont averti qu’ils allaient droit vers une perte d’argent, l’un d’entre eux ayant même déclaré que l’entreprise n’avait « jamais pensé que ces terres seraient si compliquées à acquérir ».


Le mois dernier, Sime Darby a annoncé son projet de quitter le Libéria avant la fin de l’année et a déclaré chercher activement un repreneur pour ses concessions. D’après le rapport publié par GRAIN, au cours de la décennie qui s’est écoulée depuis l’accord passé entre Sime Darby et le gouvernement libérien, la société n’a réussi à cultiver que 10 401 ha sur les 220 000 ha que compte sa concession.


« Ils se sont rendus compte que cette affaire ne serait pas fructueuse et que les rendements sont bien inférieurs à ce qu’ils attendaient » a déclaré Matthew Piotrowski, membre de Chain Reaction Research, une organisation qui évalue pour les investisseurs les risques concernant la durabilité. Une grande partie de ces terres n’est pas apte à être cultivée et c’est pourquoi continuer à les exploiter représenterait une perte ».


Des situations similaires ont affecté d’autres concessions de premier plan dans la région. Suite à une résistance et des campagnes activistes soutenues de la part des communautés camerounaises, la société américaine Herakles Farms a vu la taille de sa concession diminuer passant de 73 000 à 19 843 ha. Les investisseurs derrière ce projet ont par conséquent vendu leurs actions, et des rapports révèlent que leurs repreneurs se trouvent face à des difficultés pour développer des plantations même de plus petite taille.


Selon Devlin Kuyek, plusieurs sociétés s’attendaient à un soutien plus agressif de la part des gouvernements africains pour les aider à prendre le contrôle des terres qu’ils leur ont allouées :


« Partant du contexte indonésien, ils s’attendaient probablement à ce que le gouvernement et l’armée leur garantissent l’accès aux terres ».


Au vu des frais importants et imprévus qui s’accumulent pour acquérir des terres, il est probable que d’autres entreprises suivent l’exemple de Sime Darby. Certains opposants à l’industrie de l’huile de palme craignent que celles-ci ne soient remplacés par des investisseurs moins préoccupés par leur image internationale et qui ne reculeraient pas devant les régulations sociales et écologiques. Mais d’après Devlin Kuyek, si les gros joueurs se retirent du jeu, des sociétés plus petites auront du mal à acquérir le capital nécessaire pour exploiter d’immenses étendues de terre.


« Nombre d’investisseurs comprennent maintenant à quel point il est difficile de mettre en place des plantations de grande envergure en Afrique, et c’est une bonne chose » dit-il.



(1) Rapport collaboratif réalisé par : ADAPPE-Guinée, CDHD (Congo-Brazzaville), COPACO (RDC), Culture Radio (Sierra Leone), GRAIN, Joegbahn Land Protection Organization (Libéria), JVE Côte d'Ivoire, MALOA (Sierra Leone), Muyissi Environnement (Gabon), NRWP (Libéria), Pain pour le prochain (Suisse), RADD (Cameroun), REFEB (Côte d'Ivoire), RIAO-RDC (RDC), SEFE (Cameroun), SiLNoRF (Sierra Leone), Synaparcam (Cameroun), UVD (Côte d’Ivoire), WRM, YETIHO (Côte d'Ivoire) et YVE Ghana.


Original source: Mongabay

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