Cameroun: Ferme opposition des femmes Bagyeli face a Biopalm | Land Portal

Date: 14 mai 2019


Source: FamlandgrabFPP


Par: Madeleine NGEUNGA


Sous la menace de l’accaparement de la société agro-industrielle Biopalm, des femmes autochtones Bagyeli du département de l’Océan disent non à la production du palmier à huile dans leurs forêts.


Cameroun, Village of Mounguè : « Nda Bagyeli »


La cinquantaine sonnée, Régine Louanga a terminé ses activités champêtres avant 10 heures ce 08 Avril 2019. Elle tient à participer à la réunion du village relative au projet Biopalm. Foulard marron noué sur la tête et vêtue d’une grande robe fleurie, localement appelé « Kaba », cette femme autochtone et mère de six enfants est la première à arriver sur le site de la rencontre sis à « Nda Bagyeli » qui signifie en langue française « Maison des Bagyeli ».


Considérée comme le fief de la communauté autochtone Bagyeli du village Mounguè dans l’arrondissement de Bipindi, « Nda Bagyeli » se trouve au fond d’une route forestière, à une quinzaine de minutes à pied de l’axe routier départemental en terres, Elogbatindi-Bipindi, reliant l’arrondissement de Bipindi à celui de la Lokoundjé, toujours dans le département de l’Océan.


A peine arrivée, Régine s’active pour rassembler ses frères et sœurs. Jeunes, femmes, hommes et enfants sont presque tous regroupés autour de l’arbre à palabre de « Nda Bagyeli » au bout de quelques minutes seulement. Sans protocole, Charles Madjoka, leader d’opinion Bagyeli et président de l’Association des Représentants Bagyeli de l’Océan (ARBO) prend la parole. Il salue ses frères et sœurs en langue Bagyeli et entame le sujet « Biopalm », qui préoccupe toute la communauté.


L’information sur l’arrivée de Biopalm répandue dans la communauté depuis quelques jours, ne fait plus l’ombre d’aucun doute. Le décret N°2018/736 du 04 Décembre 2018 signé du Président de la République du Cameroun autorise « la conclusion par dérogation spéciale d’un bail emphytéotique entre l’Etat du Cameroun et la Société PALM RESSOURCES CAMEROON S.A (BIOPALM) sur une parcelle du domaine privé de l’Etat ».


Difficile pour les communautés d’avoir une copie du décret. Mais dans le document intitulé «  Newsletter on the Mandate of Great Opportunity », trouvé sur Internet,  le décret portant sur Biopalm est cité dans la liste des 84 décrets signés par le président de la République en Décembre 2018 (p. 82).


Dans la copie intégrale du décret qu’une source nous a remis, l’alinéa 1 du premier article dispose que :


Le présent décret autorise la conclusion d’un bail emphytéotique entre l’Etat du Cameroun représenté par le Ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières et la société PALM RESOURCES CAMEROON S.A (BIOPALM), représenté par Monsieur BISSO EYA Joseph sur une parcelle du domaine privé de l’Etat aux lieux dits « Gwap, Nkollo et Bella », Arrondissement de la Lokoundje, Département de l’Océan, en vue de la création d’une plantation agro-industrielle de palmier à huile.


Selon le décret, la parcelle visée couvre plus de 18 mille hectares. « Le bail Emphytéotique conclu pour une durée de 50 (cinquante ans) renouvelables, prend effet à compter de la signature du contrat de bail entre l’Etat du Cameroun et la société PALM RESOURCES CAMEROON S.A », précise l’article 2.


Selon le  Plan Communal du Développement de la Lokoundje réalisé par le Programme National de Développement Participatif (PNDP) en 2011, les villages Gwap, Nkollo et Bella comportent 4 campements des communautés autochtones de forêts. La communauté Bagyeli de Moungué se voit aussi affecté, parce que ses territoires d’utilisation chevauchent avec ceux des Bagyeli de Gwap.   Premiers habitants de cette forêt, leur survie dépend essentiellement des ressources qu’elles y tirent.


Les communautés Bagyeli n’en reviennent pas. Elles ont longtemps exprimé leur opposition face à l’implantation de Biopalm dans leurs forêts, mais l’Etat en a décidé autrement. Les Bagyeli du département de l’Océan craignent aujourd’hui de perdre les forêts dont elles dépendent entièrement pour leur survie, comme toute communauté autochtone de forêt.


Sur la carte montrant les limites géographiques de la concession de Biopalm, les Bagyeli de Mounguè constatent avec amertume que la société agro-industrielle va occuper les terres de leurs frères autochtones des villages voisins. En effet, la carte produite par des organisations de la société civile à partir des limites géographiques indiquées dans le décret présidentiel, montre que la concession de Biopalm empiète significativement les terres des Bagyeli résidant dans les villages Gwap, Nkollo et Bella.


En tant que chasseurs-cueilleurs, les activités des Bagyeli en forêt ne laissent aucune trace. Un fait qui permet aux communautés voisines de partager les mêmes espaces forestiers sans conflits. Une raison de plus pour inquiéter les Bagyeli de Mounguè.


Pointant du doigt la carte, un patriarche présent à la rencontre ôte violemment son chapeau de la tête, et lance à l’endroit de l’assistance : « Ils [Biopalm/employés] ne doivent pas entrer ici. Vous m’écoutez ?. S’ils entrent nous allons tout perdre. Par exemple, nous vivons de la pêche maintenant, nous ne la ferons plus ».


A quelques pas de là, assise sur un tronc d’arbre entourée des jeunes filles et garçons de la communauté, Régine soulève ses bras et s’interroge : « Nous allons quitter cette forêt pour où ? ».  


Très attentive durant les échanges, et après avoir pris connaissance des informations contenues sur la carte, Catherine Ngo ko’o n’imagine pas une vie loin de sa forêt. Agée de 17 ans, la jeune Bagyeli de Mounguè souhaite voir sa forêt conservée pour pérenniser la culture Bagyeli.


« Si nous perdons notre forêt, moi par exemple je n’aurai plus où camper pendant la grande saison de chasse. Nous comptons aussi sur cette forêt pour continuer à cueillir notre miel et autres produits de forêt, faire la chasse aux rats. Nous n’avons pas besoin de Biopalm ici ! », martèle-t-elle.


Pour bien expliquer l’incidence de l’arrivée de Biopalm sur leur quotidien, Régine Louanga se lève, se dirige vers la forêt et argue :


« Notre maison c’est en forêt. Nous ne pouvons pas accepter Biopalm parce que nous n’avons pas un autre habitat, nous ne pouvons pas rester en route. Biopalm va nous mettre les palmiers ici derrière nos maisons. Si Biopalm vient, nous n’aurons plus accès à notre forêt. Nous serons obligés de rester dans nos maisons et l’espace pour nos activités sera encore trop réduit », déclare – celle qui s’est établie à Mounguè en tant qu’épouse d’un fils Bagyeli de la localité depuis une trentaine d’années.


L’inquiétude se dessine sur les visages, mais la hargne de trouver une solution aussi.



Notre forêt c’est notre hôpital Bagyeli de Gwap


Situé dans l’arrondissement de la Lokoundje, département de l’Océan, région du Sud, le village Gwap est réputé pour l’accueil chaleureux de ses communautés. Et les Bagyeli de Gwap ne dérogent pas à la règle. Le village Gwap partage des limites territoriales avec le village Mounguè et comme ce dernier, ses deux communautés que sont les peuples autochtones Bagyeli et les peuples Bantou (Bassa’a) cohabitent.


La nouvelle relative à la conclusion d’un bail entre le Cameroun et Biopalm pour la production du palmier à huile à Gwap, Nkollo et Bella arrive comme un couperet pour les Bagyeli de Gwap. Ils entendent parler de Biopalm depuis 2012, suite au décret N°2012/168 du 28 Mars 2012 portant attribution en concession provisoire à la société Biopalm deux dépendances du Domaine National d’une superficie globale de 3.348 hectares sises au lieu-dit « BELLA », arrondissement de la Lokoundje, Département de l’Océan. Ceci est suivi par un deuxième décret, N°2012/3509/PM du 1 novembre 2012, en vertu duquel 21.552 ha des terres auparavant faisant partie de l’UFA 00-003 ont été « affectée » à la production agricole, selon une procédure peu claire.


Les communautés ont connu l’existence du deuxième décret que beaucoup plus tard. Se référant au premier décret, les communautés de Gwap pensaient que seul le village « Bella » devrait être concerné par le projet du palmier à huile de Biopalm. Mais ils ont témoigné la présence de la société aussi sur leurs terres. Craignant que l’Etat envisageait d’attribuer leurs terres à la société agro-industrielle, ils ont marqué leur opposition au projet assez tôt.


En 31 Août 2015, les comités de Développement des villages Gwap, Mounguè, Nkollo ont adressé un courrier au Gouverneur de la région du Sud ayant pour objet : « Opposition des populations des villages, NKOLLO, GWAP et MOUNGUE à l’implantation du projet BIOPALM ». A la suite, plusieurs autres lettres d’opposition, qui ont aussi inclut les communautés Bagyeli et Bantu de Bella (bien qu’une partie de la communauté Bantou à Bella, dont leur chef traditionnel, soit favorable au projet), ont été adressé à l’administration, notamment à la Présidence.


La nouvelle décision est difficile à admettre pour les peuples Bagyeli. Mais, ils maintiennent leur détermination à défendre ce qui leur appartient : la forêt. 


Réunis autour d’un arbre à palabre, au cœur du territoire Bagyeli, les membres de la communauté réaffirment leur opposition face à l’arrivée de Biopalm. Dès l’écoute des explications contenues sur la carte, un jeune assis sur un tronc d’arbre au milieu des siens, se sert de son chasse mouche pour tracer des limites sur le sol et renchérit avec force : « Nous avions tant dit que nous ne voulons pas de Biopalm. Pourquoi sont-ils si têtus ? »


Presque à l’unissons, des femmes hochent la tête et disent : « Nous ne voulons pas de Biopalm chez nous ».


La quarantaine sonnée, Virginie Ngo Woulè fait partie des femmes Bagyeli de Gwap ayant une forte personnalité. Née à Gwap et mère de 5 enfants, Virginie est actuellement grand-mère de 4 petits enfants. Pour elle, l’arrivée de Biopalm compromet l’avenir des fils et filles Bagyeli :


« Si ce projet entre ici, notre forêt va disparaître. Ils [Biopalm] vont arracher nos terres. Nous avons beaucoup de bonnes choses dans cette forêt. Nous acceptons de la conserver car nous y tirons un grand bénéfice. Par contre, cette histoire de palmeraie : nous n’avons pas besoin d’elle. Nous voulons ce qui sécurise notre forêt. »


Sécuriser leurs forêts représente une priorité pour ces communautés. « Nous préférons la forêt communautaire parce qu’elle conserve toutes les activités. Mais si nos forêts sont confiées à Biopalm, nous sommes perdus. Moi je ne saurai accepter cela », affirme Virginie. A Gwap comme dans les villages voisins, les Forêts Communautaires se présentaient comme une stratégie pour éviter les accaparements de terres.


Sous l’accompagnement des organisations de la société civile (notamment l’Association Okani et le Forest Peoples Programme), les communautés de Gwap, Nkollo et Mounguè ont à cet effet entamé le processus de sécurisation de leurs forêts par voie des Forêts Communautaires. Elles ont déposé leurs dossiers de demande de Convention Provisoire avec l’Etat pour la gestion des Forêts Communautaires en Novembre et Décembre 2018. La communauté de Bella avait voulu le faire aussi, mais leur dossier reste bloqué par leur chef, partisan de Biopalm, qui refuse de donner sa signature.


Les communautés de Gwap, Nkollo et Mounguè étaient encore dans l’attente de la suite accordée à cette demande par les autorités administratives lorsqu’elles découvrent le décret relatif à Biopalm. Les communautés autochtones et Bantou de Mounguè, Gwap et Nkollo ne savent pas que deviendra leur projet de création des Forêts Communautaires. En effet, suivant la carte géographique préparée de la base des données dans le décret, la nouvelle concession de Biopalm qui s’étale sur plus de 18 mille hectares chevauche les parcelles choisies par ces communautés pour abriter des Forêts Communautaires. 


La sécurisation de ces forêts représente aussi un enjeu vital, en raison des fonctions médicinales que jouent plusieurs essences forestières dans la santé des Bagyeli. Pour preuve, Virginie se rend dans son champ situé juste derrière la concession, tient une plante et ajoute : « Par exemple vous voyez cette herbe ! Quand j’ai un mal, je l’utilise pour me soigner. Je la consomme et elle soigne plusieurs maladies ».


Daniel Ndete, médecin traditionnel de la localité le confirme. Le village Gwap ne compte pas de centre de santé. Les communautés se sont toujours tournées vers la forêt pour résoudre leurs problèmes de santé. Né à Gwap et père de huit enfants, le cinquantenaire ne loupe aucune occasion pour parler des vertus médicinales de la forêt :


« Ces écorces et feuilles que je tiens en main sont un médicament traditionnel. Hier d’ailleurs ma fille était malade. J’ai mis une petite quantité dans de l’eau. Elle l’a bu et elle va mieux maintenant. Les arbres sont bénis. Chaque arbre en forêt soigne au moins une maladie. C’est ce qui m’amène à défendre cette forêt car c’est ma pharmacie. Je ne peux donc pas accepter que Biopalm vienne prendre cette forêt. Comment mes enfants et moi allons-nous faire ? »



Même l’accès à l’eau potable est un véritable problème pour ces habitants. En l’absence des points d’eau potable à Gwap, de nombreux Bagyeli consomment l’eau des rivières se trouvant juste derrière leurs maisons. D’autres sont obligés de se rendre dans le village voisin, Nkollo, situé à une dizaine de kilomètres, pour avoir de l’eau potable.


Village Nkollo, communauté Bagyeli 


Contrairement à Gwap, le village Nkollo a quelques points d’adduction en eau potable. Mais la question santé est toute aussi préoccupante qu’à Gwap, notamment avec l’épineuse question des nombreux décès d’enfants.  


Sur huit femmes Bagyeli de Nkollo, âgées de plus de 20 ans, ayant déjà fait au moins un accouchement, que nous avons interviewé, sept disent avoir perdu au moins un enfant. Le village a pourtant un centre de santé. Mais des sources concordantes rapportent que l’infirmier du centre ne travaille qu'à temps partiel. 


Ici, personne ne veut entendre parler de Biopalm. Des femmes enceintes, celles déjà mères ou sans enfants sont prêtes à lutter jusqu’au sacrifice ultime, pour les futures générations. Elles se battent ainsi pour la sécurité alimentaire durable des communautés Bagyeli.


C'est le cas d'Émilienne Kedi, actuellement enceinte de son prochain enfant :


« Si j’accepte que Biopalm entre, de quoi vais-je vivre ? Si j’ai mon champ, je peux vendre des vivres. Je suis enceinte. Quand Biopalm va arriver où vais-je encore faire les travaux champêtres pour vivre avec mes enfants ? Où et comment vais-je encore ramasser des mangues sauvages pour avoir de l’argent ? Pour nous, la forêt est cyclique. Nous l’utilisons et nous devons la préserver pour nos enfants. »


Suzanne Ngo Mba, elle aussi enceinte partage le même avis. Dans sa robe noire aux points blancs qui dessine bien son ventre, elle brave la fatigue qui se lit dans son regard pour exprimer son opinion.


« Moi je suis enceinte. Quand la palmeraie va nous envahir, (puisque vous voulez que nous vous laissions nos forêts), nous n’aurons plus accès aux rivières pour nos activités de pêche. Même ces palmiers, nous n’aurons pas le droit d’y couper des noix ou y passer pour aller chercher des fruits en forêt. Quand bien même j’oserai aller chercher de l’espace, les gardiens de l’entreprise vont me fusiller et je mourrais pour rien. Je n’accepte pas la palmeraie ici », insiste la femme de 29 ans qui a déjà fait neuf accouchements dont deux enfants seulement sont encore en vie.


Des Bagyeli, jamais consultés pour le projet Biopalm


Toujours à Nkollo, la jeune Merveille Ngo Mbogo semble perplexe. Elle a beau analyser l’affaire Biopalm dans tous ses revers, ses questions restent sans réponse. Une seule chose est claire pour cette jeune femme de 25 ans : le projet Biopalm ne tient pas compte du point de vue de sa communauté.


« Pour ce projet de palmeraie qu’on veut nous imposer dans notre village, je ne suis pas d’accord du tout. Ici les femmes et les hommes font encore des enfants. Où nos enfants et nous allons-nous faire la chasse ? Où trouverons-nous des médicaments naturels pour soigner nos enfants ? Nous mamans, qu’allons-nous transmettre ou apprendre à nos enfants comme valeur culturelle des Bagyeli lorsque la forêt sera finie ? »


Telle une piqure qui étouffe une plaie, ces propos réveillent la communauté Bagyeli de Nkollo. D’un air pensif, certains se rapprochent de la carte géographique des limites de Biopalm, la fixent avec attention et secouent la tête avec désolation.


L’étonnement et la colère se lisent sur le visage de Joseph Lipani, leader de la communauté Bagyeli de Nkollo. Vêtu d’un T-shirt sur lequel est floqué l’image du Chef de l’Etat Paul Biya, il peine à croire que le président de la République du Cameroun ait pu signer ce décret au détriment des communautés autochtones Bagyeli. « Le chef de l’Etat en signant ce genre de texte, il ne connait pas l’existence des Bagyelis dans son pays? »  s’interroge-t-il avant de se s’adosser à nouveau sur son siège.


Village Bella, arrondissement de la Lokoundje


Comme Nkollo et Gwap, Bella fait partie des villages choisis pour abriter le projet Biopalm. Les quartiers du village que sont Bella-Haut et Bella-Bas sont composés de Bantou (Bakoko), mais aussi et surtout de deux communautés autochtones Bagyeli reparties dans les deux quartiers.


A Bella-Haut, des leaders de la communauté prennent connaissance des limites de la concession de Biopalm à leurs dépens grâce à la carte géographique. Surpris, ils se demandent les uns aux autres, pourquoi l’avis des Bagyeli n’a pas été requis avant ce projet.


« Comment l’Etat peut vendre un terrain sans avoir un titre foncier ?  Et même s’il l’a, qui était présent pendant les discussions ? L’Etat nous a-t-il consultés en tant que Bagyeli ? ».


Les fils et filles Bagyeli de Bella disent n’avoir pas été consulté avant la signature du décret relatif à la concession agro-industrielle de Biopalm. La même plainte est formulée par les communautés autochtones de Mounguè, Gwap et Nkollo. Pourtant, selon les conventions internationales dont le Cameroun est partie, les terres et territoires ancestraux des Bagyeli – et d’autres communautés traditionnels – appartiennent à eux, même en l’absence d’une reconnaissance officielle de l’Etat. Ainsi, le Consentement libre, informé et préalable (CLIP), doit être requis par l’Etat avant toute forme d’accaparement. Ces droits découlent entre autres de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples et de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones (DNUDPA) adoptée en 2007.


Selon l’ouvrage Consentement libre, informé et préalable : guide à l’intention des membres de la RSPO (Table ronde pour une huile de palme durable), « le CLIP est le droit des peuples autochtones et autres communautés locales à donner ou refuser de donner leur consentement à tout projet touchant leurs terres, leurs moyens de subsistance et leur environnement ». Ce consentement devrait être donné sans aucune forme de coercition ou d’intimidation, cela longtemps avant l’autorisation ou le début de l’activité. L’opposition marquée des communautés ne laisse aucun doute : ces communautés n’ont jamais accordé leur consentement.


Pendant que les hommes tablent encore sur la question du décret, madame Bibanga, l’une des femmes Bagyeli de Bella tranche.


« Dites à Biopalm de rester où elle est actuellement qu’elle ne vienne pas ici ». Elle poursuit : « Biopalm ne doit pas entrer à Bella parce que premièrement, notre forêt ici n’est pas grande et nous n’avons pas d’autre moyen de vie que cette forêt. S’il détruit toute la forêt, nous aurons quel bénéfice ? C’est pour cette raison que moi en tant que femme Bagyeli, je refuse que Biopalm entre ici chez nous. ».


Laurent Bibanga s’inscrit dans la même lancée que son épouse.


« Quel sera même notre bénéfice avec l’arrivée de Biopalm ? Ce projet nous sert à quoi à nous Bagyeli ? Pour nous Bagyeli, Biopalm ne nous sert à rien. Elle va venir mettre sa palmeraie, elle va manger son argent, elle va occuper nos terres pendant des années. Nous ne pourrons plus faire la chasse, nous irons même en prison. Elle aura les gardiens qui vont nous tuer », s’offusque Laurent.


Les leçons des expériences vécues ailleurs


Marie Djoki, âgée de 45 ans et mère d’un enfant est une femme de Bella. Engagée dans la lutte pour le respect des droits des femmes Bagyeli et son autonomisation et membre de l’association des représentants Bagyeli de l’Océan, Marie allaite son bébé tout en participant à la rencontre communautaire des Bagyeli de Bella Bas.


Pour elle, il faut tirer les leçons des expériences vécues ailleurs pour ne pas tomber dans les mêmes travers.


« Si l’Etat nous enlève la forêt, il nous a enlevé la vie parce que lorsque nous voyons les palmeraies chez les autres, nous n’y trouvons aucun bénéfice pour le développement local. Chez nos frères à Kilombo (dans l’arrondissement de la Lokoundje où sont situées les plantations de Socapalm) par exemple, les communautés n’ont plus où faire les champs, la chasse et autres, à cause des palmeraies. Si nous acceptons la palmeraie, cela signifie que nous sommes morts ».


Boniface Baman, père de deux enfants et âgé de 31 ans, rêve d’un avenir pour les enfants Bagyeli de Bella dont il fait partie. Il est convaincu que le développement de son village ne passera pas par l’implantation d’une agro-industrie de production du palmier à huile.


« Nous avons fait des voyages dans les villages qui ont été victimes de ces plantations. Là-bas, les populations crient seulement de misère. Si les palmeraies développaient, pourquoi n’ont-elles pas développé ces villages ? C’est Bella qu’elles vont développer ? », demande d’un air interrogateur le jeune Boniface. Continuant son argumentaire, il dénonce cette situation qu’il considère comme une injustice. « Même si c’est un décret présidentiel, qu’ils laissent notre forêt tranquille parce que c’est dans cette forêt que nous vivons. Quand ils viennent ici, nous apprenons seulement qu’ils sont en forêt. Comme eux ils ont alors l’argent et nous nous sommes pauvres, c’est pour cette raison qu’on devrait disparaître de la vie ? Nous n’aimons pas cette manière ».


De Mounguè dans l’arrondissement de Bipindi à Bella dans l’arrondissement de la Lokoundje, le cri de détresse des communautés, aussi bien Bantou que Bagyeli, est le même. Ce rejet de l’implantation de Biopalm n’est pas un fait nouveau, tout comme le dossier Biopalm.


Biopalm, l’information gardée loin des communautés


La première annonce liée à Biopalm remonte à 2011. Le 25 Août 2011, le média en ligne Cameroon Today rapporte que SIVA Group, Biopalm Energy Limited et le ministre Camerounais en charge de l’agriculture et du développement rural ont procédé au  lancement des cinq ans du projet Biopalm le 24 Aout 2011 à Fifinda. « Plus de 9 cent milliard devrait être investi dans ledit projet pour générer 40 mille emplois directs et réduire le déficit du Cameroun en huile de palme », selon le MINADER, précise le média en ligne.


D’après l’article de presse, la compagnie basée à Singapour, Biopalm Energy Ltd., filiale de SIVA Group, prévoit d’investir sur plus de 200 mille hectares pour la production et la transformation du palmier à huile. Mais la société devrait commencer son activité sur 3348 hectares à Bella dans le département de la Lokoundje en Mars 2012, en vertu du Mémorandum d’Entente signé le 17 Janvier 2011 entre les représentants du gouvernement Camerounais et SIVA Group, selon lequel le Gouvernement va accorder les 200 mille hectares prévus pour le projet.


De plus, indique le reporter, « les responsables de SIVA Group, et les représentants du gouvernement Camerounais étaient au village Bella le 17 Avril 2011 pour négocier les premiers 20 mille hectares de terre dans lesquelles l’entreprise entend débuter son investissement dans les trois prochaines années.


Mars 2012, la Présidence de la République officialise le projet. L’article 1er du décret N°2012/168 du 28 Mars 2012 stipule: « Sont attribués en concession provisoire à la Société BIOPALM ENERGY LIMITED pour un délai de trois ans à compter de la date de notification du présent Décret, deux dépendances du Domaine National d’une superficie globale de 3.348 hectares sises au lieu-dit « BELLA », arrondissement de la Lokoundje, Département de l’Océan ».


A l’article 2, on peut lire que la concession en question est destinée à la création d’une agro-industrie d’exploitation de palmeraie pour la production de l’huile de palme » qui existerait au long terme. L’Etat donne trois ans à la société pour réaliser ses investissements en conformité avec un cahier de charges (jamais vu), faute de quoi la concession serait résiliée. Selon le même texte, au terme de la concession provisoire, « le concessionnaire ne pourra prétendre qu’à la conclusion d’un bail emphytéotique avec l’Etat du Cameroun ». 


Un fait apparemment éloigné survient des mois plus tard. Le Premier ministre Camerounais signe le Décret N°2012/3509/PM du 01er Novembre 2012 portant désaffectation d’une parcelle de forêt relevant du Domaine Privé de l’Etat.


L’article premier alinéa 1 du décret du PM précise que « La parcelle de forêt d’une contenance superficielle de 21.552 hectares située dans l’arrondissement de la Lokoundje, département de l’Océan, Région du Sud et faisant partie d’un ensemble plus grand d’une superficie de 125 568 hectares, incorporée au Domaine privé de l’Etat au titre de « forêt de production » par décret N°97/073/PM du 05 Février 1997 est pour compter de la date de la signature du présent décret, affectée à la production agricole ».


La partie résiduelle d’une superficie de 104.016 hectares, quant à elle, demeure affectée à la production du bois d’œuvre.  On aboutit ainsi à la modification des limites de l’Unité Forestière d’Aménagement (UFA) N°00 003, appartenant à la Compagnie Forestière de Kribi. Notons que l’UFA N°00 003 ayant auparavant appartenu à MMG (Mba Mba Gregoire) a été transférée à la CFK.


Jusqu’ici, les communautés ne font aucun lien entre Biopalm et la nouvelle désaffectation de forêt. Au contraire, elles espèrent que la parcelle désaffectée sera octroyée aux communautés. En fait, elles ne sont pas conscientes des détails de la désaffectation, qu’elles découvrent seulement plusieurs années après lorsque le décret est obtenu par des organisations de sociétés civiles accompagnant les communautés.


Au village Bella, les années s’écoulent et Biopalm ne s’implante pas. Cependant, le spectre de la société agro-industrielle plane toujours dans le département de l’Océan, et cela tant à Bella, qu’à Nkollo, Gwap et Mounguè.


Mai 2016, sachant que les trois années de concession provisoire de Biopalm se sont déjà achevées pendant plus d’une année et n’ayant pas d’information claire sur le projet, des chefs traditionnels écrivent au Président de la République. L’objet de leur lettre en dit long sur le contenu : « Opposition à l’accaparement des terres des communautés Bagyeli, Bassa, Bakoko des villages Moungue, Gwap, Nkollo et de Bella des arrondissements de Bipindi et la Lokoundje ».


Ces différentes procédures amènent les autorités à convoquer une réunion avec ces communautés. A l’occasion, tant les Bantou que les Bagyeli réaffirment leurs positions et croient avoir été entendues.


Cependant, dans la communauté, hommes et femmes assistent à la destruction quotidienne et devenue accélérée de leur forêt. Des camions chargés de grumes sortent du village plusieurs fois par semaine. Sur les grumes rangées derrière les gros porteurs, on peut lire VC (Vente de coupe). Objectif, selon plusieurs sources concordantes : raser la forêt pour faciliter le début de la mise en valeur de la concession de Biopalm. Dans la cour de diverses concessions familiales, on peut aussi voir garés des engins lourds servant à tirer ou soulever des grumes.


Sous la menace d’un accaparement de leurs terres, les communautés autochtones Bagyeli plaident pour la sauvegarde de leur forêt pour les générations futures, comme l’enseigne le savoir des communautés autochtones, reconnus comme premiers habitants de la forêt au Cameroun et dans tout le Bassin du Congo. 


Source originale: FPP

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